Éditorial
Chère lectrice, cher lecteur,
« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Pour pouvoir suivre le pilote et écrivain français Antoine de Saint-Exupéry et rendre l’avenir possible, il faut être acteur du changement ; c’est précisément le parti pris le CIVI, qui, comme le service civil dans son ensemble, évolue dans un environnement en perpétuel mouvement.
Nécessité d’une vision globale pour le système de l’obligation de servir
Le système de l’obligation de servir doit être considéré dans sa globalité, à savoir les organismes d’intervention que sont l’armée, la protection civile et le service civil, mais aussi le régime des allocations pour perte de gain et de la taxe d’exemption. On constate des lacunes en matière de personnel çà et là dans le système, et pas uniquement au niveau des effectifs : parfois, les qualifications et les compétences manquent ou ne sont pas en adéquation avec les besoins. Ces lacunes vont s’aggraver sensiblement dans un proche avenir. Le Conseil fédéral n’est toutefois pas resté les bras croisés : le 28 juin 2017, il a chargé de Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) d’étudier, en collaboration avec le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), des pistes visant à garantir à long terme les effectifs de la protection civile et de l’armée. Le DDPS doit présenter son rapport au gouvernement d’ici la fin de 2020.
« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »
Dans le cadre de ces travaux, le DDPS et le DEFR examinent notamment si une collaboration renforcée entre le service civil et la protection civile permettrait d’atténuer les problèmes d’effectifs auxquels la protection civile est confrontée et, dans l’affirmative, quelle forme devrait prendre cette collaboration. Des civilistes pourraient-ils accomplir une partie de leurs obligations au sein de la protection civile ? Quelles seraient alors les modalités de planification et de pilotage à prévoir sur le plan de la législation, des structures, des finances, de l’organisation et de l’exploitation ? Et à quel niveau du système fédéral ? Si je ne peux pas dire de quoi demain sera fait, je suis certain d’une chose : pour assurer l’avenir, nous devons mener une réflexion ouverte et globale et tenir compte des besoins. Le repli sur soi ne mènera nulle part, vu les interdépendances étroites entre l’armée, le service civil et la protection civile ainsi que de tout ce qui a trait à la taxe d’exemption et aux APG. Voilà pourquoi il faut commencer par répondre à la question suivante : quels besoins de la société le système de l’obligation de servir doit-il satisfaire en général et dans le domaine de la sécurité en particulier ?
Anticiper les besoins de demain
Si le service civil est confronté à ces questions, c’est parce que les besoins de la société évoluent en fonction des tendances lourdes que sont la démographie et le changement climatique. Ces bouleversements concernent la plupart des affectations du service civil, qui, comme on le sait, sont effectuées dans les soins et l’accompagnement de personnes ainsi que dans la protection de l’environnement et de la nature. Dans ces domaines, on assiste à un véritable bouleversement, tant au niveau des tâches à accomplir qu’à celui des solutions à mettre en place ; en témoigne la stratégie Santé2030, que le Conseil fédéral a adoptée le 6 décembre 2019. Le service civil est une ressource limitée, conçue sciemment pour n’avoir aucun impact sur le marché du travail. Le mandat constitutionnel est clair : une personne peut être admise au service civil uniquement si elle fait valoir un conflit de conscience, et non pour répondre à un besoin sociétal. Cela dit, l’efficacité des affectations doit demeurer garantie aujourd’hui comme demain. Le service civil est confronté à un vrai dilemme : d’un côté, il faudrait de plus en plus de civilistes pour pouvoir répondre aux besoins de la société ; de l’autre, le nombre de jours de service accomplis tend à diminuer. Dans ces circonstances, il est d’autant plus important d’analyser en détail l’efficacité des affectations de demain. Le CIVI collabore avec les différents acteurs responsables aux échelons fédéral, cantonal et communal pour anticiper les besoins à venir. Dans cette perspective, il va poursuivre les entretiens structurés entamés en 2019, puis il tirera les conclusions qui s’imposent.
La charte de l’office
Ce n’est pas par hasard que, dans sa charte, le CIVI s’est donné pour vision de « façonner les affectations de demain ». Ce document, qui comporte les principes d’action et de pensée de l’office, définit aussi sa mission (administrer et perfectionner les affectations et prodiguer des conseils en la matière), dont il précise la singularité (savoir accorder les ressources des personnes en service aux besoins civils de la collectivité). Adoptée l’an dernier, cette charte complète la stratégie CIVI 2019+ (LIEN). Découlant des missions fondamentales assignées au service civil, cette stratégie a été établie en 2017, puis mise à jour en 2019.
Une exécution bien rodée
La charte et la stratégie du CIVI n’ont pas été élaborées ex nihilo, mais en fonction des missions que l’office doit remplir au quotidien. J’ai le plaisir de constater que, en 2019 également, 98,6 % des civilistes ayant atteint la limite d’âge avaient effectué la totalité des jours de service prévus par la loi. Ils ont largement accompli leur mission à la satisfaction des établissements d’affectation et à bas coût pour le contribuable. Voilà qui prouve que l’on peut compter sur les civilistes et que le service civil est exécuté de manière cohérente. À noter que les principaux indicateurs demeurent en recul : par rapport à l’année précédente, 2019 a vu une diminution du nombre d’établissements d’affectation reconnus (-161), du nombre de jours de service accomplis (près de 8000 en moins) et du nombre d’admissions au service civil (-1,9 %). Diverses raisons expliquent cette évolution. Ainsi, les établissements d’affectation sont reconnus au compte-gouttes car il y a suffisamment de places disponibles à l’heure actuelle. En outre, qui dit moins d’admissions au service civil, dit moins de jours de service effectués. En 2019, la baisse des admissions (-1,9 %) a été nettement moins marquée qu’en 2018 (-8,5 %) : le fait que, depuis 2018, les conscrits peuvent choisir à quel moment ils veulent effectuer leur école de recrues y est vraisemblablement pour quelque chose.
Une révision nécessaire
Malgré tout, ce recul n’enlève rien à la nécessité des mesures que le Conseil fédéral a adoptées le 20 février 2019 et que le Parlement a examinées l’an dernier afin de diminuer drastiquement le nombre d’admissions. En effet, beaucoup de soldats instruits, de cadres et de spécialistes, en particulier, continuent de délaisser l’armée pour le service civil. En définitive, des demandes d’admission non motivées par des raisons de conscience minent la crédibilité du service civil tel que prévu par la Constitution. Si on ignore encore quand les citoyens suisses auront à se prononcer sur la révision de la loi, le cas échéant, je me permettrais toutefois de répéter la citation du début : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Dans cette perspective, le CIVI se prépare à mettre en œuvre de manière rapide et cohérente la révision en question dès qu’elle entrera en vigueur.
À peine avions-nous mis le point final au présent éditorial que la pandémie de coronavirus a éclaté. Dans cette situation, synonyme d’expériences inédites pour les organisations d’intervention, le service civil doit remplir un mandat spécifique : contribuer à maîtriser la situation causée par la pandémie et rétablir la situation à l’issue de celle-ci, tant au moyen d’affectations ordinaires que d’affectations d’urgence dans le cadre de la Gestion fédérale des ressources. Aujourd’hui plus que jamais, nous pouvons nous rendre compte de l’importance que revêt l’interaction des différents organes composant le système de l’obligation de servir. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 4000 civilistes accomplissent des affectations dans les domaines de la santé, du social et de l’instruction publique. Soyez assurés que le CIVI met tout en œuvre afin que le service civil puisse s’acquitter de la mission qui lui est dévolue.
La pandémie a eu des effets collatéraux sur le contenu du présent rapport annuel, quelque peu moins riche que ces dernières années. Les mesures de protection mises en place dans les EMS nous ayant contraints à renoncer au reportage que nous avions prévu sur le thème de la démence, nous avons réalisé à la place un entretien vidéo avec Frédéric Zwicker. Cet écrivain et ancien civiliste a partagé avec nous les nombreuses expériences vécues lors de ses affectations au service de personnes atteintes de démence et nous explique ce qu’il en a tiré pour sa vie personnelle et son œuvre littéraire.
Je vous remercie de votre intérêt pour les femmes et les hommes qui, sur le terrain et en arrière-plan, garantissent le bon fonctionnement du service civil et je vous souhaite une bonne lecture.
Christoph Hartmann
Directeur